Le 26 décembre 1951, voilà juste soixante-et-onze ans, le journal drouais l’Action Républicaine publiait l’article suivant : « Le curé d'Abondant se noie dans la mare, la nuit de Noël. Âgé de 72 ans, l’abbé Meunier, curé d’Abondant depuis plus de 40 ans, revenait de la messe de minuit, le soir de Noël quand, trompé par l’obscurité et les rafales de pluie, il alla glisser et tomber dans la mare communale. Mardi, vers 6 heures, sa servante inquiète de son absence, donna l’alerte dès qu’elle eut découvert près de la mare la coiffure du malheureux curé. Les phares d’une voiture braqués, on aperçut alors le corps du disparu dans l’eau, la congestion ayant provoqué la mort sans aucun doute. L’abbé Meunier tenait encore le calice et la clé de l’église. Vive émotion très naturelle dans le pays, on s’en doute. »
Ce drame de Noël a fortement ébranlé les membres de ma famille habitant alors le village d’Abondant. Moi aussi, rétroactivement, car ce brave curé m’a tenu sur les fonts baptismaux en février 1947 dans l’église St-Pierre d’Abondant. Bon, d’accord à 10 mois, je manifestais déjà mon désaccord avec le Bon Dieu en braillant à gorge déployée. Ma marraine a dû m’emmener hors de l’église pour me calmer. Mais le froid glacial de février a vite remis mes idées en place en trouvant que la douce chaleur de l’église et la bienveillance de l’abbé Meunier (représentant du petit Jésus) avaient quand même du bon.
Voici la version de ce douloureux fait divers, recueillie auprès de témoins de l’époque :
Après la messe de minuit de ce Noël 1951, le prêtre s’était isolé dans la sacristie. La tradition voulait alors, la nuit de Noël, que le prêtre fasse seul trois messes basses. Dans le conte « les trois messes basses », des Contes de mon Moulin d’Alphonse Daudet, le curé de Trinquelage, très pressé de déguster la dinde de Noël, bâcle les trois messes basses, et pour ce blasphème, se retrouve en enfer. Ce ne fut pas le cas de l’abbé Meunier qui trône certainement depuis soixante-et-onze ans à la droite du Bon Dieu au Paradis !
À l’aube, on a retrouvé son corps flottant dans la mare située juste derrière l’église. Peu profonde, cette eau stagnante et verdâtre de lentilles d’eau servait d’abreuvoir aux troupeaux de vaches et aux chevaux des fermes avoisinantes. Cette mare, la plus grande du pays, se trouvait à 10 mètres environ de la nef de l’église et de la petite porte donnant à la sacristie. Le curé, bien sûr, en connaissait parfaitement l’emplacement.
L’enquête des gendarmes a conclu à un accident, dû probablement à la nuit, au brouillard et au froid. L’éclairage public était encore faible dans les petits villages à cette époque. Une fine couche de glace, bien trop mince pour supporter le poids d’un homme, recouvrait la mare. La noyade a peut-être aussi été due à un malaise.
Ce drame a frappé les esprits pour longtemps en laissant planer un soupçon de mystère. Certains accusèrent les proches paroissiens du prêtre de ne pas l’avoir accompagné à sa sortie de l’église en pleine nuit. La mare fut bouchée peu de temps après et transformée en terrain gazonné. Mais, quelle mort exceptionnelle, pour un curé de campagne, de rejoindre le Seigneur la nuit de Noël !
Je profite de cette dernière chronique de l’an de grâce 2022 pour souhaiter à tous mes lecteurs de joyeuses fêtes de fin d’année.