Mai 1964 - Palais de justice de Dreux. Je me trouve dans la salle d’audience avec une bonne cinquantaine de jeunes drouais. En face de nous, la Cour : une dizaine de messieurs d’âge mûr, des édiles de Dreux et des villages du canton qui nous observent en devisant joyeusement. Je me trouve en slip, comme mes camarades. Il parait qu’en 1900, on aurait été tout nu. Nous passons en jugement. Notre crime ? Être des garçons et avoir 18 ans. Nous sommes, pour trois ans encore, mineurs et ne pouvons voter. Mais nous pouvons, selon la loi républicaine, tuer et nous faire tuer au nom de la Patrie. Hé oui, il s’agit bien d’un truc que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître : le « Conseil de révision » !
Nous avançons à la queue leu leu et passons tour à tour dans des compartiments séparés par des rideaux en toile blanche. Des bidasses débonnaires nous font lire de loin, nous pèsent, prennent nos mesures. J’ai l’impression de me trouver dans la chanson de Brel « Au suivant ! ». Des gradés au képi galonné de violet, car ce sont des médecins, en blouse blanche cachant à peine l’uniforme, nous examinent de près. J’ai l’impression d’être à une foire aux esclaves, me faisant ouvrir la bouche pour voir mes dents, tâtant mes petits muscles et le reste intime. À la fin du circuit, on me remet un papier sur lequel est indiqué « BON POUR LE SERVICE » (militaire s’entend). Sur ma feuille il est écrit « pieds plats », alors que mon pied est plutôt bon marcheur. (Cela va m’aider, car je ne serai pas affecté dans un régiment de fantassins marcheurs, mais dans un régiment d’artilleurs assis dans un char). Un camarade, manifestement non voyant, a dû subir avec sa canne blanche tous les examens médicaux pour finalement se faire exempter.
Nous ne sommes pas très inquiets de ces 16 mois à venir loin de notre famille. L’affreuse guerre d’Algérie est terminée. Aucun conflit armé n’est en vue pour la France. Je ne ferai pas les traditionnels « 3 jours », ayant obtenu un sursis de deux ans pour études. Un employé de la mairie de Dreux, ancien quartier maître, recrute parmi les appelés drouais pour le ministère de la Marine, place de la Concorde à Paris. Contrairement à beaucoup de Drouais qui sautent sur l’occasion, j’ai demandé à être affecté dans les forces françaises en Allemagne. Je ferai ainsi mon service militaire à Trêves dans l’artillerie lourde, me servant plus d’une machine à écrire que d’un canon.
Tout cela pour vous parler enfin du Palais de Justice de Dreux, place Anatole France. D’abord installé au rez-de-chaussée du Beffroi (Jean de Rotrou, en tant que lieutenant général du baillage, en était le juge) puis place d’Angoulême (Place Rotrou), le tribunal accompagné de la maison d’arrêt s’installa en 1824 rue d’Orisson (Rue d’Orfeuil). Le bâtiment actuel a été construit pendant le IIIe Empire vers 1870.
C’est devant les grilles de la prison, derrière le palais, rue d’Orfeuil, que la guillotine fonctionna pour la dernière fois à Dreux, le 27 juin 1925. Elle coupa la tête de l’assassin d’un cordonnier drouais, dans l’Auberge de la Maison Blanche à Vernouillet, pour le vol d’une modeste somme d’argent. La partie maison d’arrêt a été transformée en appartements et a pris le nom « relais de poste ». Le relais des diligences, venant de Paris et joignant la Bretagne, existait vers 1820. Ce nom de relais de poste sonne mieux que résidence de la prison. Actuellement l’ancien palais de justice est dénommé la Maison de justice et du droit et abrite le tribunal de proximité, le tribunal Judiciaire et le Conseil de prud’hommes. Le tribunal de commerce a été regroupé à Chartres début 2009.